Louis Granboulan : Thèse

Ma thèse est accessible au format PostScript (fichier de ) et il existe aussi une version HTML. Voici, pour vous mettre en appétit, une introduction aux travaux réunis dans ce document...

Introduction

Alexander Grothendieck a inauguré l'étude des dessins d'enfants, une famille d'objets mathématiques qu'il voulait considérer comme les éléments de base d'une approche intuitive de la géométrie algébrique et de l'action du groupe de Galois absolu. Le lien entre les propriétés topologiques (visuelles) et algébriques d'un dessin est appelé correspondance de Grothendieck.

Comme souvent, la compréhension en profondeur de la structure d'objets abstraits demande qu'on en connaisse suffisamment d'exemples pratiques pour asseoir son intuition. L'un des problèmes qui se posent est donc le calcul des propriétés algébriques d'un dessin, à partir de ses données topologiques, c'est-à-dire le calcul de la correspondance de Grothendieck.

De tels calculs ont déjà été réalisés par de nombreux auteurs, dans divers contextes et selon plusieurs méthodes. Pour réussir à calculer des exemples résistant aux approches classiques, nous avons dû développer des techniques originales, qui ont pu prouver leur efficacité.


Les dessins d'enfants présentent deux visages, ce qui donne naissance à une interaction qui fait leur richesse. D'un point de vue géométrique, nous définissons un dessin comme un élément du corps des fonctions d'une courbe algébrique, ayant au plus trois valeurs critiques. On en déduit de façon très naturelle une description combinatoire, sous la forme d'un graphe plongé dans une surface. Ce qui est plus surprenant est que cette correspondance peut être rendue bijective. Mais le calcul explicite des propriétés algébriques à partir de la description combinatoire d'un dessin pose de nombreux problèmes algorithmiques.

À part pour les dessins de genre 0, ce calcul est toujours fait au cas par cas, pour des exemples simples. En genre 0, il existe une approche systématique, qui passe par la résolution d'un système d'équations algébriques.


Les systèmes d'équations algébriques servent à la résolution de beaucoup de constructions géométriques et en particulier au calcul de la correspondance de Grothendieck. Le premier chapitre de cette thèse est consacré aux méthodes de résolution de systèmes algébriques, dans le contexte général du calcul formel. Nous décrivons les deux techniques généralement employées, et qui sont les plus efficaces : le calcul de bases de Gröbner d'un idéal, pour en déduire un système triangulaire, et le calcul d'approximations numériques d'une solution, qui permet de reconstruire un point de la variété solution.

Historiquement, le calcul numérique a été remplacé par les bases de Gröbner, parce qu'elles permettent la résolution systématique, automatique et exacte de nombreux problèmes algébriques. Pour les dessins d'enfants, c'est ainsi que Malle a réalisé le catalogue actuellement le plus exhaustif de dessins de genre zéro. Le principal avantage de cette technique est qu'à l'aide d'opérations exactes sur les polynômes, un résultat est obtenu dont on a prouvé la validité. Malheureusement, la manipulation de polynômes à coefficients entiers est très gourmande en mémoire et en puissance de calcul et Malle a dû intervenir ``manuellement'' pour son calcul d'un polynôme de groupe de Galois Aut(M22).

Nous voulons montrer qu'une approche numérique, faisant appel à l'intuition géométrique, est au moins aussi efficace pour résoudre les cas les plus difficiles du calcul de la correspondance de Grothendieck.


La comparaison entre ces deux techniques est faite à la fois sur le plan théorique et à l'aide d'exemples. La nature des résultats obtenus est assez différente : la résolution par bases de Gröbner donne toutes les solutions du système, tandis qu'une résolution numérique ne donne que l'orbite galoisienne d'une solution, celle qui est proche d'une approximation initiale. L'inconvénient de ne pas être exhaustif se révèle un avantage lorsque le système d'équations est mal défini.

La complexité, dans le cas le pire, du calcul de bases de Gröbner est une exponentielle du nombre de variables du système. En pratique, le nombre de solutions est plus représentatif du temps de calcul d'un système triangulaire au moyen de bases de Gröbner. De même, la dernière étape du calcul numérique (récupération d'une description algébrique de la solution) est principalement limitée par le nombre de solutions conjuguées. Lorsqu'on effectue une batterie de tests comme au paragraphe IV.3 de cette thèse (arbres en Y), il apparaît qu'en pratique les temps de calcul des deux méthodes sont très comparables.


Le principal inconvénient de la résolution par approximations numériques est qu'elle nécessite une surveillance humaine. Des trois étapes du calcul numérique (choix d'une approximation, convergence vers une solution suffisamment précise, puis récupération d'une description algébrique de la solution), les deux dernières étapes se font automatiquement, mais la première étape demande un peu de doigté et n'a été automatisée que pour les arbres.

Nous utilisons une intuition géométrique de ce que sera la ``vraie'' forme du dessin, et il n'existe malheureusement aucun théorème qui permette d'automatiser cette intuition. Ce trou dans la théorie est même assez frappant, et certains calculs comme celui des extraterrestres montrent qu'il y a une notion de ``masse'' d'un morceau de dessin qui apparaît. Par exemple, les sommets ayant beaucoup de voisins ayant tendance à être plus éloignés de ces voisins que des sommets de valence plus petite. Ce genre de considérations m'a permis de réaliser par approximations successives presque n'importe quel exemple de dessin déjà calculé, et quelques calculs originaux. Les dessins qui résistent sont ceux dont la régularité algébrique est telle qu'une résolution spécifique donne de meilleurs résultats qu'une résolution générique.


Le cas des revêtements ramifiés au dessus de quatre points généralise les dessins d'enfants. Le calcul de ces revêtements à partir de leur description combinatoire est bien plus accessible à la résolution numérique qu'à la résolution algébrique. En effet, comme la variété solution du système correspondant est de dimension 1, les méthodes efficaces pour le calcul de bases de Gröbner sont affaiblies. En revanche, la méthode numérique peut exploiter des propriétés géométriques : le déplacement relatif des quatre valeurs de ramification donne une famille continue de revêtements, chacun étant une ``bonne'' approximation de ceux qui en sont proches. Lorsque nous confondons deux ramifications, l'élément dégénéré de cette famille, ramifié au dessus de trois points, est un dessin bien plus simple dont on calcule plus facilement la description algébrique. On peut ensuite, de proche en proche, calculer les propriétés de l'ensemble de la famille.

Cette approche a permis le calcul effectif du premier polynôme dont on sache que le groupe de Galois est le groupe de Mathieu M24. Une application de nos techniques d'approximation est donc le calcul de revêtements de degré assez élevé, en particulier ceux que détecte l'utilisation de méthodes de rigidité pour le problème de Galois inverse. Le calcul massif de dessins doit être mis en oeuvre avec des techniques de bases de Gröbner, et l'utilisation conjointe des deux approches peut se révéler fructueuse.


En conclusion, nous exploitons une approche résolument expérimentale du calcul mathématique. En l'absence d'une compréhension en profondeur des dessins d'enfants, nous calculons des exemples sur lesquels pourrront se baser des conjectures. Pour mener ces calculs à bien, nous utilisons une intuition géométrique (au sens classique du terme) qui nous mène donc à une description géométrique. Nous profitons de la puissance de l'algorithme LLL pour vérifier la pertinence de notre intuition en retrouvant la valeur algébrique exacte.