III.1 Le système algébrique

III.1.1 Paramètres de la paire de Belyi

a. Présentation du problème

Les données sont une description topologique du dessin, nous cherchons à calculer une paire de Belyi (X, ß) définie sur un petit corps de nombres, son corps des modules, si possible.

Si nous occultons toutes les justifications théoriques, il s'agit de tracer un graphe bipartite sur une surface (compacte connexe de Riemann) X. On cherche à en déduire une fonction (méromorphe) ß à valeurs dans C U {oo} telle que la préimage de [0,1] dessine ce graphe sur la surface.

Il y a unicité de cette fonction, lorsqu'on impose certaines conditions. Nous donnons à la surface X une structure de courbe algébrique, et la fonction ß est alors une fonction rationnelle sur X. Elle définit donc un revêtement X -> P1 ramifié au dessus de trois valeurs au plus. Celui-ci est unique, à isomorphisme de X et de P1 près.

D'après le théorème de monodromie, la préimage d'un chemin de P1 évitant les valeurs de ramification est un chemin de X. La préimage de ]0,1[ est donc une réunion de segments de X ne se croisant pas. Le nombre de ces segments qui se touchent en un point de la préimage de {0, 1} est l'indice de ramification de ce point.

À partir de la description de la ramification, qu'on obtient en lisant la description combinatoire du dessin, on en déduit des propriétés contraignantes pour la fonction ß. Ce sont des conditions sur les indices de ramification, qui suffisent souvent à définir un système n'ayant qu'un nombre fini de solutions, l'une d'entre elle correspondant au dessin considéré.

Il n'est pas facile de compléter ces conditions pour contraindre le calcul de la fonction de Belyi et obtenir l'unique (à automorphismes des courbes près) correspondant à une monodromie donnée. Cependant, si nous résolvons le système par approximation numérique, le choix d'une approximation initiale à l'aide d'une carte ayant la bonne monodromie dirigera souvent le résultat vers un dessin ayant cette monodromie.

b. Représentation du problème

Un courbe algébrique projective X peut être définie par m équations homogènes en x0, ... , xm. Les fonctions rationnelles de X (par exemple l'application de Belyi) sont des fractions rationnelles à m variables. Nous notons x = (x0, ... , xm).

Soit l dans P1, la ramification de ß en l est donnée par la multiplicité des racines de ß - l dans la courbe X. En pratique, si ß - l = Q(x) / R(x) et si X est définie par des polynômes Pi(x), les racines de ß - l dans la courbe X se calculent comme solutions du système défini par les Pi et par Q.

Si nous connaissons la monodromie (s0, s1) du revêtement, la longueur des cycles de s0, s1, soo est la liste des valences du dessin, c'est-à-dire les indices de ramification au dessus de 0, 1, oo.

Regardons ceci sur un exemple : X est la courbe définie par y2 - 4(2x + 9)(x2 + 2x + 9). La fonction ß(x, y) est le polynôme x2 + 2x + 18 + y. Le point (x,y)=(0,-18) est une racine quadruple de ß sur X. Les points (-3,12) et (9,-108) sont racines triple et simple de ß - 27.

c. En genre 0

Lorsque X est de genre 0, c'est une courbe isomorphe (sur C) à la sphère P1. le paramètre x de la courbe est tout simplement un nombre dans P1C et la fonction de Belyi est une fraction rationnelle en x. Nous avons donc ß dans C(X).

La condition de multiplicité des racines de ß - l se traduit en une condition de multiplicité des racines de quelques polynômes. On pose ß(x) = P(x) / R(x) et Q = P - R. Ces polynômes sont premiers entre eux. On a la correspondance suivante :

Ramification en 0 : Racines de P que nous notons pi
Ramification en 1 : Racines de Q que nous notons qi
Ramification en oo : Racines de R que nous notons ri

Connaissant la monodromie (s0, s1, soo ), les indices de ramification des trois valeurs critiques de ß se lisent simplement : c'est la longueur des cycles de s0, s1 et soo, c'est-à-dire la liste des valences du graphe représentant le dessin.

Il suffit de forcer les valeurs de ces indices de ramification pour être assuré que le revêtement n'a que trois valeurs critiques et pour savoir qu'il n'existe qu'un nombre fini de tels revêtements (à automorphismes près). La première propriété se déduit de la formule de la caractéristique d'Euler, la seconde propriété est une conséquence de l'énumération des graphes ayant des valences données.

III.1.2 Les dessins de genre 0 

Cette définition du système algébrique n'est pas nouvelle. Elle vraisemblablement a été introduite par Atkin et Swinnerton-Dyer [2, p6]. Chaque auteur en donne une présentation différente : voir [7, p39], [17, p109] ou [37, p66].

a. Les données du système

Nous cherchons les coefficients d'une fonction de Belyi ß dans un corps de définition K du dessin. Nous connaissons les indices de ramification du revêtement et nous savons que P, Q et R sont premiers entre eux. Notons an (resp. bn et cn) le nombre de sommets (resp. segments et faces) d'indice de ramification n. On note a = Sigman>0 an le nombre total de sommets.

Quelques formules lient ces données : comme le dessin est de degré N, nous avons Sigma n an = Sigma n bn = Sigma n cn = N. La caractéristique d'Euler est 2 -2g = Sigma an + Sigma bn + Sigma cn - N. Puisque le dessin est de genre 0, nous avons donc a + b + c = N + 2.

b. Aspect de l'application de Belyi

La fonction de Belyi est une fraction rationnelle en x, élément de P1C, définie à automorphisme de P1K près. Pour être rigoureux, nous devrions donc la formuler en coordonnées homogènes, modulo la composition à gauche par une homographie quelconque.

Il est plus simple de se libérer de cette présentation en fixant quelques paramètres qui vont déterminer l'homographie et en manipulant avec prudence des formules où x est élément de C U {oo} au lieu de P1C.

La fonction de Belyi a donc la forme suivante :

ß(x) = P(x) / R(x) = 1 + Q(x) / R(x)       avec P, Q, R dans K[X].

L'égalité polynomiale III.1 induit l'égalité des coefficients des polynômes, ce qui définit un système de N+1 équations dans K auquel la fonction de Belyi fournit une solution :

P(x) - R(x) = Q(x).          (système III.1)

Mais si un triplet de polynômes (P, Q, R) est solution de cette égalité alors tout triplet (k P,k Q,k R) pour k élément de K aussi. En particulier, le triplet (0,0,0) est une solution que nous aimerions éviter. Nous modifions donc légèrement l'équation pour que P, Q et R soient unitaires, en faisant apparaître un paramètre l élément de K. La fonction de Belyi a alors la forme

ß(x) = P(x) / lR(x)       avec P, R dans K[X], unitaires.

La nouvelle forme de l'équation III.1 dépend du degré des polynômes P, Q et R. S'ils sont tous de degré N, cela signifie que l'infini n'est pas ramifié.

c. Cas où l'infini n'est pas ramifié

Pour tout dessin, il est possible de supposer que l'infini n'est pas ramifié sans perte de généralité (c'est-à-dire sans modifier le corps de définition de ß). Si l'infini est ramifié, on choisit un rationnel t non ramifié et on remplace x par x / (x - t). Les degrés des polynômes P, Q et R sont tous égaux à N. Nous obtenons ainsi une égalité de degré N-1 :

P(x) - l R(x) = (1-l) Q(x).          (système III.2)

P(x) est le produit des (xan + Sommei=0...an-1 an,i xi)n
avec des formules similaires pour Q(x) et R(x).

L'égalité ci-dessus (III.2) nous donne un système de N équations, avec N + 3 inconnues (les an,i, bn,i, cn,i et l), à solutions dans K.

Nous savons que la variété solution a une composante de dimension 3 sur K qui correspond à l'application de Belyi que nous cherchons, à composition près par l'espace de dimension 3 des homographies x -> (ax + b) / (cx + d).

Mais cette variété a des composantes parasites qui correspondent aux cas où les polynômes P, Q et R ne sont pas premiers entre eux.

Cet inconvénient est contourné à l'aide d'une astuce de différentiation très classique, dans le cas où l'infini est ramifié. Il est toujours possible de composer la fonction de Belyi par une homographie pour placer une ramification à l'infini, mais ceci est un marquage du dessin (cf. II.2.2.a.), qui peut changer le corps des modules du dessin. Différents choix donneront parfois différents corps de définition.

d. Placement d'un célibataire à l'infini

On appelle célibataire un point de ramification unique par sa valence. Il correspond donc à un polynôme P[n], Q[n] ou R[n] de degré 1, qui vaut donc X - xx, élément de K, peut être placé à l'infini par une homographie qui ne change pas le corps de définition.

S'il existe un célibataire, nous supposerons que c'est une face dont la valence sera notée voo, nous avons donc cvoo = 1, et on place cette face à l'infini. La fonction R est alors ramifiée de degré voo à l'infini, ce qui signifie que d°(R) = N - voo < N. Notre système devient :

P(x) - l R(x) = Q(x)

L'astuce de différentiation permet d'éliminer l et d'éviter les composantes parasites de la solution du système III.2, en dérivant l'égalité ß = P / R = l + Q / R. On obtient alors :

P' R - P R' = Q' R - Q R'

Si on pose P* le PGCD de P et P', avec P = P* P0 et P' = P* P1, on a (en simplifiant par R*).

P*(P1R0-P0R1) = Q*(Q1R0-Q0R1).

Nous remarquons que P* et Q* sont premiers entre eux et que le degré de P* (qui est N-a) égale le degré de Q1 R0 - Q0 R1 (qui est b+c-2). On rappelle que voo est la valence de la face à l'infini, nous avons donc le système III.3 ci-dessous   gif :

P1 R0 - P0 R1 = voo Q*
Q1 R0 - Q0 R1 = voo P*

Nous pouvons de la même façon obtenir l'équation III.4  :

Q1 P0 - Q0 P1 = l voo R*.

Explicitons les formules définissant P*, P0, P1, etc. en fonction des an,i, etc.

on pose P[n](x) = (xan + Somme_i=0...an-1 an,i xi)
on a     P = Produit_n>0 P[n]n     et     P' = Somme_n>0 (nP[n]' P[n]n-1 Produit_m != n P[m]m)
d'où     P* = Produit_n>0 P[n]n-1   ,   P0 = Produit_n>0 P[n]     et     P1 = Somme_n>0 (nP[n]' P[n] Produit_m != n P[m])

Le système : on va résoudre (III.3). Ce système a N + 1 inconnues et N + c - 2 équations et une solution de dimension 2. Cette redondance, de dimension c - 1 (c'est-à-dire le nombre de faces ailleurs qu'à l'infini) est très utile pour la méthode des bases de Gröbner.

Si c'est un dessin propre :   on a Q* = Q0 et Q*' = Q1. Nous pouvons donc facilement éliminer les bn,i de la seconde équation de (III.3), ce qui donnera un système de N/2 inconnues et N/2 + c - 2 équations.

Position du dessin dans P1C : Nous savons que la position d'un dessin est déterminée à homographie près. Dans le cas d'un dessin marqué, nous imposons oo -> oo , et il reste deux paramètres.

Le plus simple est de choisir deux valeurs arbitraires qui imposeront la position du ``centre de gravité'' (translation) et l'échelle du dessin (homothétie). Pour que ce choix ne grossisse par le corps de définition, nous donnons donc certaines valeurs rationnelles à deux inconnues du système.

On décide donc que l'un des an,0 vaut 0, ce qui fixe la translation. Si cette condition n'impose pas que tous les autres an,0 (ou bn,0 ou cn,0) sont nuls, on décide que l'un d'eux vaut 1, ce qui fixe l'homothétie. Voir aussi Couveignes [16, p10].

Cette approche (rudimentaire) suffit pour la plupart des calculs. Pour des dessins dont on sait que le calcul sera compliqué, une étude plus précise peut parfois accélérer la résolution du système.

III.1.3 Cas des arbres

a. Polynômes de Shabat

Dans le cas où le dessin est un arbre, il y a une unique face de valence N qui est donc un célibataire que nous plaçons à l'infini. Nous avons donc voo = N et R = R* = 1. Le système (III.3) devient : P0 = N Q* et Q0 = N P*. gif

La fonction de Belyi est un polynôme. Shabat [42] définit ainsi un polynôme de Chebyshev généralisé comme un polynôme f dont les valeurs critiques sont {± 1}. Ils sont parfois appelés polynômes de Shabat. Il correspondent à la fonction de Belyi d'un arbre ß = ½ (f + 1) ou à la fonction de Belyi d'un arbre propre ß = 1 - f2.

b. Recherche numérique des racines

Pour les arbres, il existe un système algébrique très simple ou les inconnues ne sont plus les coefficients des polynômes P[n] et Q[n] mais leurs racines [16] On note npi (resp. nqi) la valence du sommet pi (resp. du segment qi).

L'égalité (III.4) peut se réécrire Q1/Q0 - P1/P0 = l voo R* / P0Q0, d'où, comme R* = 1, la formule suivante (avec T un polynôme de degré N+1) :

Somme_i=1..nq nqi/(x-qi) - Somme_i=1..np npi/(x-pi) = 1 / T(x).

Un développement en l'infini (avec x=1/U) nous donne la formule ci-dessous :

Somme_i=1..nq (nqiU)/(1-qiU) - Somme_i=1..np (npiU)/(1-piU) = O(UN+1).

Les coefficients de U2 à UN de cette équation nous donnent les équations III.5 ci-dessous, pour les valeurs de k allant de 1 à N-1 :

Somme_i=1..np npi pik = Somme_i=1..nq nqi qik.

Comme (III.3), ce système a N-1 équations avec N+1 inconnues et ne fait pas intervenir l. Mais les inconnues ne sont pas les mêmes et nous avons une plus grande stabilité numérique. En revanche, il est exclu d'utiliser ce système pour une résolution algébrique car a priori ses inconnues ne sont pas dans le corps de définition du dessin.