I.1 Notions d'algèbre

Les fondements du calcul algébrique sont les polynômes sur un anneau ou un corps. On parle de géométrie lorsqu'on considère les corps des réels R ou des complexes C . On parle d'arithmétique à propos des rationnels Q et des corps de nombres.

Dans cette section nous rappelons quelques définitions élémentaires d'algèbre principalement. Ensuite, nous présenterons les corps de nombres, en faisant allusion à leur interaction avec la géométrie, par leurs plongements dans C et les métriques sous-jacentes. Nous esquisserons enfin le lien entre géométrie et algèbre qui se présente sous la forme de variétés algébriques solutions de systèmes polynomiaux, et qui peut mener à la géométrie algébrique.

Nous profitons de cette présentation pour définir le groupe de Galois abolu Gal(Qbar / Q), mais cette notion ne sera utilisée que dans le second chapitre, sur les dessins d'enfants. Son étude est l'une des motivations du calcul explicite des dessins.

I.1.1 Définitions

a. Anneau

On ne s'intéressera qu'aux anneaux unitaires intègres commutatifs. On note A× le groupe multiplicatif des éléments inversibles.

b. Idéal

Nous rappelons qu'un idéal I de A est un sous-groupe de A stable par multiplication par tout élément de A. On note (F) l'idéal engendré par une partie F de A, c'est-à-dire le plus petit idéal contenant F. C'est la somme des idéaux principaux xA pour x élément de F. Un idéal propre est un idéal différent de A.

Un idéal propre est maximal s'il n'est contenu dans aucun autre idéal propre. Un idéal premier est tel que ab élément de I implique a élément de I ou b élément de I. Le radical d'un idéal est sqrt(I), c'est l'ensemble des x dont une puissance xn est élément de I.

La relation ``x-y élément de I'' est une relation d'équivalence qui définit le quotient A / I, qui est un anneau. Cet anneau est intègre si I est premier, c'est un corps si I est maximal.

c. Polynôme à une indéterminée

Un polynôme à coefficients dans un anneau A est une application à support fini P : N -> A ,   n -> Pn. On note P(X) = Somme PnXn, on dit que Pn est le coefficient de Xn. On note A[X] l'ensemble des polynômes à coefficients dans A. C'est un anneau, commutatif si A l'est.

Le degré du polynôme est le plus petit d élément de N U {-oo} tel que pour tout n > d, Pn = 0. Par convention, le degré du polynôme nul est donc -oo. Le coefficient dominant d'un polynôme non nul est Pd. S'il vaut 1, on dit que le polynôme est unitaire.

d. Polynôme à plusieurs indéterminées

Un polynôme à m indéterminées est une application à support fini P : Nm -> A ,   a -> Pa avec a = (a1, ... , am). On note P(X) = Somme Pa Xa ou bien P(X1,...,Xm) = Somme Pa1,...,am X1a1 ... Xmam. Les polynômes à m indéterminées à coefficients dans A forment un ensemble noté A[X] ou A[X1,...,Xm]. C'est un anneau isomorphe à A[X1,...,Xm-1][Xm].

Le degré total du monôme Xa est égal à a1 + ... + am. Son degré en Xm est am. On appellera support du polynôme l'ensemble des Xa tels que Pa soit non nul (et non l'ensemble des a comme on le fait parfois). Le degré total d'un polynôme non nul est le plus grand degré total des monômes de son support. On dit qu'un polynôme est homogène si tous les monômes de son support ont même degré total.

e. Fonction polynomiale 

Si A est commutatif, on notera aussi P(x1,..., xm) l'image par la fonction polynomiale associée à P du m-uplet (x1,..., xm) de Am. C'est l'élément de A valant Somme Pa1,...,am x1a1 ... xmam.

On peut remarquer que si E est une algèbre (commutative) sur A, l'anneau A[X] s'injecte dans E[X]. Le sous-ensemble de Em tel que P(x1,..., xm) = 0 est noté VE(P). Cette notation sera utilisée lorsque nous chercherons à résoudre des systèmes d'équations polynomiales.

Les éléments de VE(P) sont appelés zéros de P (dans Em). Si m=1, on parle alors de racines.

f. Irréducibilité

L'anneau A[X] est factoriel si A l'est. Si P peut se factoriser en polynômes de degré au plus 1, on dit qu'il est scindé. S'il n'admet pas de facteurs non triviaux, on dit qu'il est irréductible.

Si x élément de A est une racine de P, alors X-x divise P. Si (X-x)n est la plus grande puissance divisant P, on dit que x est racine de P avec multiplicité n.

g. Corps

On ne s'intéressera qu'aux corps commutatifs.

h. Extension algébrique

Un corps L est une extension du corps K si L contient K. C'est alors un espace vectoriel sur K, de dimension notée [L : K] et appelée degré de l'extension. Si L est distinct de K, c'est une extension propre.

Un élément x de L est algébrique sur K s'il existe un polynôme non nul P de K[X] tel que P(x)=0. Une extension est algébrique si elle ne contient que des éléments algébriques. Toute extension finie (i.e. de degré fini) est algébrique.

Pour tout élément x algébrique sur K, il existe un unique polynôme unitaire de degré minimal annulant x, le polynôme minimal. Ce polynôme est irréductible sur K. On dit que x et y sont conjugués s'il ont même polynôme minimal.

i. Transcendance

Soit une extension L de K. Un élément x de L est transcendant sur K s'il n'est pas algébrique. Le degré [L : K] est alors infini.

Pour x1,..., xm éléments de L, nous définissons l'anneau K[x1,..., xm] inclus dans L, qui est l'image de K[X1,..., Xm] par le morphisme qui à Xi associe xi. Son corps des fractions K(x1,..., xm) est le sous-corps de L engendré par K et x1,..., xm.

Le degré de transcendance de L sur K est le plus petit m tel que L soit une extension algébrique d'un corps K(x1,..., xm). Par exemple, si L est algébrique sur K, son degré de transcendance est 0. Autre exemple, le degré de transcendance de R sur Q est infini.

j. Polynôme caractéristique, trace et norme

Soit x élément de L une extension finie de K. La multiplication par x dans L peut être vue comme une application linéaire de L en tant qu'espace vectoriel sur K. Son polynôme caractéristique est appelé polynôme caractéristique de l'élément x dans l'extension L de K, il est noté CarL/K(x). Il est égal au polynôme minimal de x, à la puissance [L : K(x)].

Nous écrivons CarL/K(x) = Sommei(-1)d-i sd-i(x)Xi, où d = [L : K]. Le nombre sk(x), élément de K, est appelé k-ième fonction symétrique de x dans L / K . La trace et la norme sont respectivement TrL/K(x) = s1(x) et NL/K(x) = sd(x).

k. Clôture algébrique

Un corps K est algébriquement clos s'il n'a pas d'extension algébrique propre. Cela signifie que tout polynôme de K[X] est scindé.

Une extension algébrique de K qui est algébriquement close est appelée clôture algébrique de K. Les clôtures algébriques de K sont isomorphes, on en choisit une qu'on note Kbar.

I.1.2 Corps de nombres

La théorie algébrique est plus facile à appréhender lorsque le corps de base est un corps primitif : le corps des nombres rationnels Q ou un corps premier Fp = Z / pZ. Les systèmes algébriques que nous manipulerons seront définis sur Q.

Un corps de nombres est une extension K de degré fini du corps Q des rationnels. Les éléments d'un corps de nombres sont donc algébriques sur Q. On les appelle les nombres algébriques.

a. Anneau des entiers

Il faut remarquer que Q est le corps des fractions de l'anneau Z des entiers relatifs. Si les coefficients du polynôme minimal d'un nombre algébrique sont tous des entiers relatifs, on dit que ce nombre est un entier algébrique. L'ensemble des entiers algébriques de K est appelé l'anneau des entiers, noté ZK. C'est un Z-module libre de rang [K : Q], dont les bases sont appelées bases intégrales de K.

On appelle contenu d'un polynôme P de Q[X] le plus grand rationnel positif c tel que c-1P n'ait que des coefficients entiers. Par abus de langage, on appelle aussi polynôme minimal d'un nombre algébrique le quotient du polynôme minimal par son contenu. C'est ainsi le polynôme à coefficients entiers, de degré minimal et de coefficient dominant minimal positif, annulant ce nombre. Les entiers algébriques sont alors les nombres dont le polynôme minimal est unitaire.

b. Élément primitif

Le théorème de l'élément primitif affirme que tout corps de nombres est isomorphe à un quotient Q[X] / (P), où P est de degré d = [K : Q]. Le polynôme P a au moins une racine a dans K, qui est par définition un élément primitif de K.

La famille (1, a, a2, ..., ad-1) engendre K comme espace vectoriel sur Q, ce qui signifie que K est égal à Q[a]. En revanche, l'anneau Z[a] n'est que rarement égal à ZK.

Si a est un entier algébrique, on a évidemment l'inclusion de Z[a] dans ZK. On note alors [ZK : Z[a]] l'indice du sous-groupe Z[a] dans ZK (cf. paragraphe II.1.2.d.). On l'appelle aussi indice de a dans ZK. Si d>2, il n'existe pas toujours d'élément d'indice 1, par exemple dans Q[X] / (X3 + X2 - 2X + 8).

c. Plongements 

Soit L est une extension algébriquement close du corps de nombres K, par exemple le corps C des nombres complexes ou Qbar une clôture algébrique de Q. Le polynôme minimal d'un élément primitif a de K, irréductible de degré d sur Q, a d racines distinctes ai dans L. Chaque application a -> ai donne un plongement de K dans L. Ce sont les seuls. Nous notons si ces plongements. Dans le cas L = C, chaque plongement donne ainsi une vision géométrique du corps K.

On dit qu'un corps de nombres de degré d est galoisien ou normal, si les ensembles si(K) sont égaux dans L. C'est le cas si et seulement si le polynôme minimal de a est scindé dans K, ce qui signifie que a a d conjugués. Le corps K est galoisien si, et seulement si, il a d automorphismes distincts, qui sont les si sj-1. Ces automorphismes forment un groupe qu'on note Gal(K / Q). Les automorphismes d'une clôture algébrique Qbar forment le groupe de Galois absolu Gal(Qbar / Q).

d. Discriminant

Soit [K : Q] = d et une famille (x1,..., xd) dans K. Le déterminant de la matrice (TrK / Q(xi xj))i,j est un nombre rationnel, dont le carré est appelé discriminant de la famille, noté d(x1,..., xd). C'est aussi le nombre [det(si(xj))]2.

Le discriminant d'une base intégrale de K ne dépend pas du choix de la base intégrale, et est donc appelé discriminant du corps de nombres, noté d(K). Deux corps de nombres distincts peuvent avoir même discriminant. Par exemple Q[X] / (X4 + 2X3 + 6X2 - 6) et Q[X] / (X4 + 2X3 - 3X2 - 4X - 2) ont pour discriminant -8640 et sont distincts.

Pour un polynôme irréductible P de degré d dans Q[X] et de coefficient dominant c, on note d(P) le discriminant du polynôme, qui vaut c2(d-1) d(1, a, a2, ..., ad-1) où a est une racine quelconque de P. Si K = Q[X] / (P), alors d(P) = d(K)f2f est appelé indice du polynôme et est égal à l'indice de a.

e. Représentation d'un corps de nombres

Le livre de Cohen [11] est la référence sur les problèmes algorithmiques en théorie des nombres.

On peut représenter K comme sous-corps d'un corps défini auparavant, ou bien par un polynôme tel que K est isomorphe à Q[X] / (P). Plusieurs polynômes conviennent, il est préférable d'en trouver un de petite «taille» (voir en particulier [11, p171]). Le calcul d'une base intégrale et du discriminant du corps est souvent la première étape de l'étude d'un corps de nombres. Des algorithmes le permettent, mais le temps de calcul est souvent impraticable.

f. Représentation d'un nombre algébrique

Si ce nombre est dans un corps K connu, dont on connaît une base sur Q (une base intégrale par exemple) on utilise ses coordonnées dans cette base.

Nous aurons besoin de faire des opérations dans un corps de nombres inconnu a priori. Il est donc naturel de représenter un nombre par son polynôme minimal, et d'effectuer les opérations de Qbar à l'aide de calcul de résultants de polynômes [11, pp156-159]. Mais cette représentation ne distingue pas les nombres algébriques conjugués. Pour y arriver, on utilise en plus une approximation du nombre considéré.

I.1.3 Approximation d'un nombre algébrique  

La méthode numérique que nous proposons dans la section I.3 utilise des approximations de la solution du système algébrique. Nous devons donc définir une distance entre les éléments de Qbar.

a. Corps métrique

Un corps K est un corps métrique s'il est muni d'une fonction f de K× dans R>0 telle que f(x+y) <= f(x) + f(y) et f(xy) = f(x) f(y), étendue sur K avec f(0) = 0. La fonction f est appelée une valeur absolue. Elle est ultramétrique lorsque f(x+y) <= max(f(x), f(y)). Nous ignorerons la valeur absolue triviale où f(K×) = {1}.

La distance entre x et y est f(x-y). Une suite (xn) converge vers x si la limite (réelle) de f(xn-x) est 0. Deux valeurs absolues sur K sont équivalentes si elles définissent la même notion de convergence, c'est-à-dire la même topologie. Les valeurs absolues équivalentes à f sont les f ^a, pour a > 0. Les classes d'équivalence de valeurs absolues sont appelées places.

b. Valeur absolue p-adique

On appelle valuation discrète gif d'un corps K toute fonction v de K dans Z U {-oo} telle que v(0) = -oo, v(K×) = Z, v(xy) = v(x)+v(y) et v(x+y) >= min(v(x), v(y)). gif

Sur tout corps K muni d'une valuation discrète v, on construit une valeur absolue associée comme suit : on choisit un réel r dans ] 0, 1[ ; la valeur absolue de x est |x|v = rv(x). Cette valeur absolue est ultramétrique.

Soit pi un idéal premier de l'anneau des entiers ZK, on définit la valuation pi-adique sur K qui à tout x de K× associe l'entier vpi(x) tel que l'idéal principal (x) se décompose en (x) = pivpi(x) a/b où les idéaux a et b ne sont pas divisibles par pi. En particulier, si p est un entier premier, la valuation p-adique sur Q donne vp(x) tel que x = pvp(x) a/b avec a et b non divisibles par p. Ce sont des valuations discrètes. Les valeurs absolues associées sont notées |·|pi et |·|p.

c. Places de Q et de ses extensions

Si on choisit un plongement s de K dans C, le module des nombres complexes est une valeur absolue de K, qu'on note |·|s. Pour les rationnels, c'est la valeur absolue usuelle.

Toutes les valeurs absolues sur K sont équivalentes à une valeur absolue pi-adique (places finies) ou à une valeur absolue |·|s. (places infinies).

d. Complétion

Soient K un corps métrique et x un élément de K. Si l'élément xx est à une distance au plus e de x, on dit que xx est une approximation à e près de x. Si nous avons une suite (xxn) et un réel r dans ] 0, 1[ tels que tout xxn est une approximation à rn près des xxk pour k > n, il est légitime de considérer que cette suite converge vers une certaine valeur. On dit qu'un corps métrique K est complet si toutes ces suites (dites de Cauchy) convergent dans K.

Le complété de Q pour |·|oo est l'ensemble des nombres réels R. La clôture algébrique de R est le corps (complet) des nombres complexes. C'est aussi le complété de Qbar pour ses places infinies.

Les complétés de Q pour les valeurs absolues p-adiques sont les corps p-adiques Qp. Les complétés des corps de nombres pour les places finies sont des extensions finies de Qp. Leur clôture algébrique Qbarp n'est pas complète. On appelle Cp le complété de Qbarp, qui est lui aussi algébriquement clos.

e. Approximation d'un rationnel dans la métrique usuelle

Soit x un réel. Soient deux entiers N > 1 et k. Il existe un nombre de la forme xx = A N-kA est un entier relatif tel que | x-xx |oo <= N-k. On dit que xx est une approximation à k décimales en base N du nombre x. Si x est le rationnel a / b, on calcule A comme quotient euclidien de a Nk par b.

f. Approximation d'un rationnel dans une métrique p-adique

Soit x dans Qp. Soit un entier relatif k. Il existe un entier relatif xx tel que vp(x-xx) >= k, c'est-à-dire | x-xx |p <= rk. On dit que xx est une approximation p-adique de précision k. Si x = pvp(x) a / b, on calcule xx comme suit :

g. Approximation d'un nombre algébrique dans C

Le corps C est une extension de R de degré 2. Tout nombre complexe peut donc s'écrire sous la forme a+ib avec a et b réels. Étant donné un plongement de Qbar dans C, nous pouvons approcher tout nombre algébrique par un couple d'approximations de réels.

L'inconvénient de ce type d'approximation est que la précision est difficile à maîtriser. Le calcul par intervalles (plusieurs milliers de publications sur le sujet, d'après Neumaier [35]) est une solution élégante aux problèmes de précision, mais nous nous contenterons de vérifier a posteriori les résultats (algébriques) de nos calculs.

h. Approximation p-adique d'un nombre algébrique

Le corps Cp est de degré infini sur Qp. La clôture algébrique Qbarp est elle aussi de degré infini sur Qp. Nous ne pouvons donc pas approcher les nombres algébriques aussi simplement qu'avec la métrique usuelle.

Cependant, pour tout n fixé, il y a un nombre fini d'extensions de Qp de degré n. Il existe donc une famille finie (ti) dans Qbarp telle que tout élément algébrique sur Qp de degré au plus n soit une combinaison linéaire des ti à coefficients dans Qp. Mais cet ensemble n'est pas stable par multiplication, il est donc impossible de s'en servir pour faire des calculs approchés.

En revanche, pour tout corps de nombres K, il existe une infinité de p tels que K -> Qp (Tchebotarev). Si K = Q[X] / (P), ce sont les p tels que P ait au moins une racine modulo p. Pour un tel p, on peut faire des calculs approchés dans la métrique p-adique.

I.1.4 Système algébrique 

Nous donnons les définitions qui nous sont nécessaires. Le livre de Fulton [21] donne une présentation agréable des bases de la géométrie algébrique, nettement plus complète et très lisible.

a. Espace affine, projectif 

Pour un corps K, nous notons Am(K) l'espace affine Km de dimension m. Les zéros dans K d'un polynôme de K[X1,..., Xm] sont donc éléments de Am(K).

Si P est un polynôme homogène, tout multiple d'un zéro de P est aussi un zéro. L'ensemble des zéros d'un polynôme homogène est donc un ensemble de droites passant par l'origine. Nous notons Pm(K) l'espace projectif de dimension m, qui est l'ensemble des droites de Km+1 passant par l'origine.

b. Variété algébrique 

Nous appellerons système algébrique une famille F = (fi) de polynômes de K[X] = K[X1 , ..., Xm]. On s'intéresse aux zéros simultanés de tous ces polynômes, dans K ou dans Kbar.

L'intersection des VK(fi)  (zéros sur K de fi) est une partie de Am(K) qu'on appelle un ensemble algébrique affine sur K. L'intersection des VKbar(fi) est une variété algébrique (affine). gif Si V est une variété algébrique, on note V(K) l'ensemble des points K-rationnels de V, c'est-à-dire V  ^ Am(K).

Lorsqu'on considère des polynômes homogènes de K[X0 , ..., Xm], l'ensemble des points annulant le système est une variété projective, incluse dans l'espace projectif Pm(Kbar).

c. Homogénéisation, déshomogénéisation

Dans la plupart des cas, il y a une correspondance entre variétés affines et projectives et entre polynômes de K[X1,..., Xm] et polynômes homogènes de K[X0 , ..., Xm]. Il existe cependant quelques pièges que nous ne détaillerons pas, dus à la présence de l'hyperplan à l'infini; voir par exemple [21, p96 et suivantes]. Nous nous placerons donc dans le cas affine en sachant qu'il aurait été possible d'étudier le cas projectif.

Pour P de degré total d dans K[X1 , ..., Xm], nous notons P* le polynôme homogène correspondant, qui vaut P*(X0 , ..., Xm) = X0d P(X1/X0 , ..., Xm/X0). À l'inverse, la déshomogénéisation d'un polynôme homogène P est le polynôme P*(X1 , ..., Xm) = P(1, X1 , ..., Xm).

d. Idéal engendré

Nous notons I = <fi> l'idéal de K[X] engendré par les polynômes fi. L'ensemble intersection des V(fi) ne dépend que de l'idéal, on le note donc V(I).

Soit X une partie quelconque de l'espace affine Am. L'ensemble de polynômes s'annulant sur X est un idéal qu'on note I(X).

Le théorème des bases de Hilbert affirme que tout idéal de K[X] est engendré par un nombre fini de polynômes. Cela signifie que nous pouvons nous restreindre aux systèmes algébriques finis.

e. Corps de définition

On dit qu'une variété est définie sur un corps K si elle admet un modèle sur K, c'est-à-dire si l'idéal I(V) est engendré par I(V)  ^ K[X].

f. Composantes irréductibles

On dit qu'un ensemble algébrique V est irréductible s'il n'est pas la réunion d'ensembles algébriques plus petits. Cette condition est vérifiée si et seulement si l'idéal I(V) est premier.

Tout ensemble algébrique se décompose de façon unique en la réunion d'un nombre fini d'ensembles algébriques irréductibles (dont aucun n'est inclus dans un autre), ses composantes irréductibles.

g. Fonctions rationnelles 

Si V est une variété irréductible définie sur K, Gamma(V) = K[X1 , ..., Xm] / I(V) est un anneau intègre, qu'on appelle anneau des coordonnées ou anneau des fonctions régulières de V. Il peut être identifié avec l'anneau des fonctions polynomiales sur V.

Son corps des fractions K(V) est le corps des fonctions rationnelles.

h. Systèmes équivalents

On dit que deux systèmes (fi) et (gi) sont équivalents si et seulement s'ils ont la même solution. C'est en particulier le cas si <fi> = <gi>. Cependant, la réciproque est fausse : V(I) = V(J) n'implique pas I = J. Un contre-exemple est I = <X> et J = <X2>.

Sur un corps algébriquement clos, le théorème des zéros de Hilbert (souvent appelé Nullstellensatz) donne le critère V(I) = V(J) si, et seulement si, sqrt(I) = sqrt(J).

i. Dimension de la solution

Soit V une variété irréductible sur un corps K. Si nous considérons le corps K(V) des fonctions rationnelles sur V, on appelle dimension de V son degré de transcendance sur K.

Une variété de dimension 0 est un ensemble fini de points. On appelle courbe algébrique les variétés de dimension 1. Une surface est une variété de dimension 2.

j. Résolution d'un système algébrique

L'objectif de la résolution du système peut être :

  1. savoir tester si un polynôme f est élément de I.
  2. trouver un ou plusieurs zéros du système, quelques éléments de VKbar(I).
  3. connaître le nombre d'éléments de VKbar(I).
  4. calculer les composantes irréductibles de VKbar(I), leur dimension.

k. Exemple de système, pour un dessin très simple  

Exemple simple
Figure I.1: Exemple de dessin, de valences [31,31,31]

On cherche la fonction de Belyi du dessin de la figure I.1, c'est-à-dire une fraction rationnelle ß, telle que la préimage ß-1([0, 1]) dessine le graphe de la figure. Le système correspondant est défini par (cf. chapitres II et III) :

  (x + pa)3 (x + pb) = l x + (x + qa)3 (x + qb).        (égalité I.1)

La variété solution a deux composantes :
Gamma'' de dimension 2   l = 0, pa = qa, pb = qb;
Gamma' de dimension 1   l = -16 pa3, pa + qa = pb + qb = 0, 3pa + pb = 0.

Si on élimine la première composante (en imposant l non nul, par exemple en rajoutant une inconnue m et l'équation l m = 1) et si on fixe l'échelle du dessin (en rajoutant l'équation pa + pb = 2) le système obtenu a une unique solution :
l = 16, m = 1/16,   pa = -1, pb = 3, qa = 1, qb = -3.

L'égalité (I.1) est donc (x - 1)3 (x + 3) = 16 x + (x + 1)3 (x - 3), dont on déduit

ß = (x - 1)3 (x + 3) / 16 x.

l. Exemple pour un dessin plus élaboré  

Dessin de Zvonkine et Magot
Figure I.2: Exemple de dessin moins simple, de valences [1 42 3, 43, 25 12]

Le système correspondant au dessin de la figure I.2 (voir aussi § IV.4.3) se construit à partir de l'égalité ci-dessous, plus quelques considérations supplémentaires :

(x3 + pa x2 + pb x + pc)4 = l x3 (x2 - x + ra)4
+ (x5 + qa x4 + qb x3 + qc x2 + qd x + qe)2 (x2 + qf x + qg)

La variété solution qui nous intéresse est de dimension 0, elle a quatre éléments conjugués dans le corps de nombres Q[X] / (X4 - 2X3 - 2X + 1). Si a est une racine de X4 - 2X3 - 2X + 1, on a :

  Conjugués de ce dessin
Figure I.3: Les conjugués du dessin de la figure I.2.