Calcul matriciel

Jérôme Feret
DIENS (INRIA,ÉNS,CNRS)

16-20 mars 2017

1 Matrices

1.1 Algèbre des matrices

Définition 1.1 (matrice). Soient m,n deux entiers positifs. On appelle une matrice d’éléments de 𝕂 à m lignes et à n colonnes une famille d’éléments (ai,j)1im,1jn de 𝕂 indexée par les couple (i,j) où i varie entre 1 et m, et j varie entre 1 et n.
On dit aussi que (ai,j)1im,1jn est une matrice de taille m × n.
On note m,n(𝕂) l’ensemble des matrices de tailles m × n d’élément de 𝕂.
Enfin, lorsque m = n, on dit que les matrices de m,n(𝕂) sont carrés de taille m.

Définition 1.2 (ligne). Soient m,n deux entiers positifs Soit A=Δ(ai,j)1im,1jn m,n(𝕂) une matrice de taille m × n. Soit i0 un entier entre 1 et m. On appelle i0-ième ligne de A, la famille de n éléments de 𝕂 (ai0,j)1jn.

Définition 1.3 (colonne). Soient m,n deux entiers positifs Soit A=Δ(ai,j)1im,1jn m,n(𝕂) une matrice de taille m × n. Soit j0 un entier entre 1 et n. On appelle j0-ième colonne de A, la famille de m éléments de 𝕂 (ai,j0)1im.

Définition 1.4 (somme). Soient m,n deux entiers positifs. Soient A m,n(𝕂) et B m,n(𝕂). On note A=Δ(ai,j)1im,1jn et B=Δ(bi,j)1im,1jn. La matrice (ai,j + bi,j)1im,1jn est appelée la somme des deux matrices A et B. On la note A + B.

Définition 1.5 (produit externe). Soient m,n deux entiers positifs Soient A m,n(𝕂) et λ 𝕂. On note A=Δ(ai,j)1im,1jn. La matrice (λ ai,j)1im,1jn est appelée le produit de la matrice A par le scalaire λ. On la note λ A.

Définition 1.6. Soient m,n deux entiers positifs. Soit k un entier entre 1 et m et soit k un entier entre 1 et n. On note Ek,k=Δ(δik δjk ) la matrice de taille m × n dont tous les éléments sont nuls, sauf dans la case à la ligne k et à la colonne k dans laquelle la valeur est 1.

Propriété 1.1. Soient m,n deux entiers positifs (m,n(𝕂),+,) est un 𝕂-espace vectoriel de dimension m n. De plus, la famille des matrices élémentaire (Ei,jm,n)1im,1jn est une base de (m,n(𝕂),+,).

Définition 1.7 (produit interne). Soient m,n,o trois entiers positifs. Soient A m,n(𝕂) et B n,o(𝕂). On note A=Δ(ai,j)1im,1jn et B=Δ(bi,j)1in,1ko. La matrice (ci,j) m,o(𝕂) définie par :

ci,j=Δ k=1na i,k bk,j,

pour 1 i m et 1 j o, est appelée le produit entre A et B, et est notée A × B.

Propriété 1.2. Soient m,n,o,p quatre entiers. Soient A m,n(𝕂), B n,o(𝕂), C o,p(𝕂) trois matrices à valeur dans 𝕂.
Alors :

A × (B × C) = (A × B) × C.

Propriété 1.3. Soient m,n,o trois entiers naturels. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. La fonction ϕ : n,o(𝕂) m,o(𝕂) qui à toute matrice B n,o(𝕂) de taille n × o à valeur dans 𝕂 associe la matrice A × B est une application linéaire entre (n,o(𝕂),+,) et (m,o(𝕂),+,).

Définition 1.8 (transposée). Soient m,n deux entiers positifs Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. On note A=Δ(ai,j)1im,1jn. La matrice (aj,i)1jn,1im est une matrice de taille n × m d’éléments de 𝕂. Cette matrice est appelée la transposée de A et est noté TA.

Propriété 1.4. Soient m,n,o trois entiers positifs. Soient A m,n(𝕂) et B n,o(𝕂) deux matrices de tailles m × n et n × o, et d’éléments de 𝕂. Alors, on a :

T(M × N) = TN ×TM.

Propriété 1.5. Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice à valeur dans 𝕂 et de taille m × n. Alors, on a :

T(TA) = A.

Propriété 1.6. Soient m,n,o trois entiers naturels. Soit A n,o(𝕂) une matrice de taille n × o à valeur dans 𝕂. La fonction ϕ : m,n(𝕂) m,o(𝕂) qui à toute matrice B m,n(𝕂) de taille m × o à valeur dans 𝕂 associe la matrice B × A est une application linéaire entre (m,n(𝕂),+,) et (m,o(𝕂),+,).

1.2 Transformations élémentaires

1.2.1 Matrice identité

Définition 1.9 (identité). Soient m,n deux entiers positifs. On note Im,n m,n(𝕂) la matrice carrée (δij)1im,1jn.

Propriété 1.7. Soient m,n deux entiers positifs et soit A m,n(𝕂). On a : A = Im,m × A.

Propriété 1.8. Soient m,n deux entiers positifs et soit A m,n(𝕂). On a : A = A ×In,n.

Propriété 1.9. Soient m,n deux entiers positifs tels que m n, alors Im,n ×In,m = Im,m.

1.2.2 Permutation de lignes et de colonnes

Définition 1.10 (matrice de permutation). Soit n . Soient k et k deux entiers entre 1 et n. On note Swapn(k,k) la matrice In,n En,n k,k En,n k,k + En,n k,k + En,n k,k.

Propriété 1.10 (permutation de lignes). Soient m,n deux entiers positifs et soient k,k deux entiers compris entre 1 et m. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice Swapm(k,k) × A est la matrice dont la l-ième ligne est la l-ième ligne de A pour l{k,k}, la k-ième ligne est la k-ième ligne de A, et la k-ième ligne est la k-ième ligne de A.

Propriété 1.11 (permutation de colonnes). Soient m,n deux entiers positifs et soient k,k deux entiers compris entre 1 et n. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice A ×Swapn(k,k) est la matrice dont la l-ième colonne est la l-ième colonne de A pour l{k,k}, la k-ième colonne est la k-ième colonne de A, et la k-ième colonne est la k-ième colonne de A.

Propriété 1.12. Soit n un entier. Soient k,k deux entiers compris entre 1 et n. On a :

(Swapn(k,k))2 = I n,n

1.2.3 Multiplication d’une ligne ou d’une colonne par un scalaire

Définition 1.11 (matrice de dilatation). Soit n . Soient k un entier entre 1 et n et λ 𝕂 {0} un scalaire non nul. On note Dilatn(k,λ) la matrice In,n + (λ 1) En,n k,k .

Propriété 1.13 (dilatation de lignes). Soient m,n deux entiers positifs et soient k un entier compris entre 1 et m et λ 𝕂 {0} un scalaire non nul. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice Dilatm(k,λ) × A est la matrice dont la l-ième ligne est la l-ième ligne de A pour lk, la k-ième ligne est la k-ième ligne de A multipliée par le scalaire λ.

Propriété 1.14 (dilatation de colonnes). Soient m,n deux entiers positifs et soit k,k deux entiers compris entre 1 et n et λ 𝕂 {0} un scalaire non nul. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice A ×Dilatn(k,λ) est la matrice dont la l-ième colonne est la l-ième colonne de A pour lk, la k-ième colonne est la k-ième colonne de A multipliée par le scalaire λ.

Propriété 1.15. Soit n un entier, soit k un entier entre 1 et n, et soit λ,μ 𝕂 {0} deux scalaires non nuls. Alors Dilatn(k,λ) ×Dilatn(k,μ) = Dilatn(k,λ μ).

1.2.4 Ajout de lignes et de colonnes

Définition 1.12 (matrice de combinaison). Soit n . Soient k et k deux entiers distincts entre 1 et n et soit λ 𝕂 un scalaire. On note Addn(k,k,λ) la matrice In,n + λ En,n k,k.

Propriété 1.16 (ajout d’une ligne). Soient m,n deux entiers positifs et soient k,k deux entier distincts compris entre 1 et m, et soit λ 𝕂 un scalaire. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice Addm(k,k,λ) × A est la matrice dont la l-ième ligne est la l-ième ligne de A pour lk, la k-ième ligne est la k-ième ligne de A plus la k-ième ligne de A multipliée par le scalaire λ.

Propriété 1.17 (ajout d’une colonne). Soient m,n deux entiers positifs et soit k,k deux entiers distincts compris entre 1 et n et λ 𝕂 un scalaire. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n d’éléments de 𝕂. Alors la matrice A ×Addn(k,k,λ) est la matrice dont la l-ième colonne est la l-ième colonne de A pour lk, la k-ième colonne est la k-ième colonne de A plus la k-ième colonne de A multipliée par le scalaire λ.

Propriété 1.18. Soit n un entier, soit k,k deux entiers distincts entre 1 et n, et soit λ,μ 𝕂 deux scalaires. Alors Addn(k,k,λ) ×Addn(k,k,μ) = Addn(k,k,λ + μ).

1.3 Matrices inversibles

1.3.1 Inversibilité à gauche et à droite

Définition 1.13 (matrice inversible à gauche). Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. On dit que A est inversible à gauche si et seulement si il existe une matrice B n,m(𝕂) de taille n × m à valeur dans 𝕂 telle que B × A = In,n.
La matrice B est alors appelée un inverse à gauche de A.

Définition 1.14 (matrice inversible à droite). Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. On dit que A est inversible à droite si et seulement si il existe une matrice B n,m(𝕂) de taille n × m à valeur dans 𝕂 telle que A × B = Im,m.
La matrice B est alors appelée un inverse à droite de A.

Propriété 1.19. Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. La matrice A est inversible à gauche si et seulement si la matrice TA est inversible à droite.

De plus, soit B n,m(𝕂) une matrice de taille n × m à valeur dans 𝕂. Alors la matrice B est un inverse à gauche de A si et seulement si la matrice TB est un inverse à droite de TA.

Définition 1.15 (matrice inversible). Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. On dit que A est inversible si et seulement si il existe une matrice B m,n(𝕂) telle que A × B = Im,m et B × A = In,n.
La matrice B est alors appelée un inverse de A.

1.3.2 Inversion à gauche

Définition 1.16. Soient m,n deux entiers positifs. Une matrice A m,n(𝕂) de taille m × n est dite échelonnée, si et seulement si il existe une fonction pivot qui associe à chaque indice de ligne de A non nulle un indice de colonne, tel que :

  1. Pour chaque ligne non nulle d’indice i, la première colonne non nulle a pour indice pivot(i).
  2. Pour chaque ligne non nulle d’indice i, Ai,pivot(i) = 1.
  3. Pour chaque ligne i non nulle, Ai,pivot(i) est le seul élément non nul de la colonne pivot(i).
  4. Pour chaque paire de lignes non nulles, d’indice i et j, on a : i < jpivot(i) < pivot(j).
  5. Les lignes nulles, si il y en a, sont à la fin de la matrice.

Algorithme 1.1 (pivot de Gaus). Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n. Alors, quitte à permuter les lignes de A, multiplier les lignes de A par une constante non nulle, et ajouter à une ligne une autre ligne multipliée par une constante, alors on peut écrire A sous forme échelonnée.
On suppose m 1 et n 1.

  1. Posons p 1.
  2. Si A n’est pas échelonnée, on prend la première colonne j0 telle qu’il existe une ligne i0 telle que ai,j0, avec i p.
  3. On permute la ligne p et la ligne i0.
  4. On utilise la ligne p pour annuler le reste de la colonne j0.
  5. On pose p p + 1.

Algorithme 1.2 (inversion à gauche). Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂).

  1. On utilise l’algorithme 1.1 permet de vérifier si A a un inverse à gauche.
    • soit la matrice n’est pas inversible ;
    • soit la matrice est inversible :
      1. on a calculé une matrice B m,m(𝕂) carrée de taille m et à valeur dans 𝕂 qui vérifie : B × A = Im,n ;
      2. on calcule B ×Im,m en faisant agir les mêmes transformations élémentaires qui ont transformé A en Im,n sur Im,m ;
      3. l’ensemble des inverses à gauche de A est alors l’ensemble des matrices C × B ×Im,m pour chaque matrice C=Δ(ci,j)1in,1jm n,m(𝕂) de taille n × m à valeur dans 𝕂 et telle que pour tout i tel que 1 i n et pour tout j tel que 1 i n, on ait ci,j = δji.

Théorème 1.1. Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice à valeur dans 𝕂. Alors les assertions suivantes sont équivalentes :

  1. A est inversible à gauche ;
  2. m n et A peut s’écrire sous la forme B ×Im,n où B est le produit de 0, une, ou plusieurs matrices de transformation élémentaire, toutes carrées et de taille m ;
  3. les lignes de A forment une famille génératrice de n ;
  4. les colonnes de A forment une famille libre dans m ;
  5. pour toute matrice X n,1(𝕂) telle que A × X = (0)1in,j=1, on a X = (0)1im,j=1 ;
  6. pour toute matrice Y n,1(𝕂), il existe une matrice X m,1(𝕂) telle que TA × X = Y .

1.3.3 Inverse à droite

Algorithme 1.3 (inversion à droite). Soit A m,n(𝕂) une matrice de taille m × n à valeur dans 𝕂. On utilise l’algorithme 1.2 pour décider si la transposée de A est inversible à gauche, et calculer ses inverses à gauche.

  1. si TA n’est pas inversible à gauche, alors A n’est pas inversible à droite ;
  2. les inverses à droites de A sont alors les transposées des inverses à gauche de TA.

Théorème 1.2. Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice à valeur dans 𝕂. Alors les assertions suivantes sont équivalentes :

  1. A est inversible à droite ;
  2. m n et A peut s’écrire sous la forme Im,n × B où B est le produit de 0, une, ou plusieurs matrices de transformation élémentaire, toutes carrées et de taille n ;
  3. les colonnes de A forment une famille génératrice de m ;
  4. les lignes de A forment une famille libre dans n ;
  5. pour toute matrice X m,1(𝕂) telle que TA × X = (0)1in,j=1, on a X = (0)1im,j=1 ;
  6. pour toute matrice Y m,1(𝕂), il existe une matrice X n,1(𝕂) telle que A × X = Y .

1.3.4 Inverses

Algorithme 1.4 (pivot de Gauss sur une matrice carrée). Soit n un entier naturel. Soit A n,n(𝕂) une matrice carrée de taille n à valeur dans 𝕂.
On suppose que n 1.

  1. On pose p = 1, X0 = A, et Y 0 = In,n.
  2. Si p = n + 1, A est inversible, et son inverse est Y n.
  3. On note Xp1 = (xi,j)1in,1jn.
  4. Si pour tout i p, xi,p = 0 alors la matrice A n’est pas inversible.
  5. On prends le plus petit indice i0 tel que i0 p et tel que xi0,p0.
  6. On permute la ligne p et la ligne i0 à la fois dans la matrice Xp1 et dans la matrice Y p1.
  7. On utilise la ligne p pour annuler le reste de la colonne j0 dans la matrice Xp1, tout en effectuant les mêmes transformations dans la matrice Y p1
  8. On pose Xp et Y p les matrices obtenues.
  9. p p + 1,

Théorème 1.3. Soient m,n deux entiers positifs. Soit A m,n(𝕂) une matrice à valeur dans 𝕂. Alors les assertions suivantes sont équivalentes :

  1. A est inversible ;
  2. A peut s’écrire sous la forme d’un produit de 0, une, ou plusieurs matrices de transformation élémentaire, toutes carrées et de taille n ;
  3. m n et les colonnes de A forment une famille génératrice de m ;
  4. m n et les colonnes de A forment une famille libre de m ;
  5. m n et les lignes de A forment une famille libre dans n ;
  6. m n et les lignes de A forment une famille génératrice de n.
  7. m n et pour toute matrice X m,1(𝕂) telle que TA × X = (0)1in,j=1, on a X = (0)1im,j=1 ;
  8. m n et pour toute matrice Y m,1(𝕂), il existe une matrice X n,1(𝕂) telle que A × X = Y .
  9. m n et pour toute matrice X n,1(𝕂) telle que A × X = (0)1im,j=1, on a X = (0)1in,j=1 ;
  10. m n et pour toute matrice Y n,1(𝕂), il existe une matrice X m,1(𝕂) telle que TA × X = Y .